22

VOL DE NUIT

 

Démétri nous abandonna dans le joli et rassurant hall d’accueil, où Gianna était toujours à son poste, derrière le comptoir lustré. Une musique joyeuse se déversait par des haut-parleurs invisibles.

— Ne partez pas avant la nuit, nous prévint-il.

Edward acquiesça, et l’autre se dépêcha de retourner à son festin. Gianna n’eut pas l’air surprise par l’échange, même si elle me parut jauger le manteau emprunté par Edward d’un coup d’œil plein de finesse.

— Ça va ? s’inquiéta ce dernier auprès de moi, dans un souffle pour éviter que la femme nous entende.

L’anxiété rendait sa voix rocailleuse, pour peu que le velours puisse l’être. Il avait sans doute du mal à encaisser notre situation.

— Aide-la à s’asseoir avant qu’elle défaille, intervint Alice. Elle n’en peut plus.

Ce n’est qu’à cet instant que je m’aperçus que je tremblais, si fort que mes dents s’entrechoquaient, et que la pièce donnait l’impression d’être floue et de tournoyer. Je me demandais brièvement si c’était ce que ressentait Jacob avant de se transformer en loup-garou. Un son me parvint, bizarre, sorte de contrepoint dissonant à la mélodie entraînante qui inondait la pièce. Focalisée sur mes tremblements, je n’aurais su dire d’où il provenait.

— Chut, Bella, chut, murmura Edward en m’entraînant vers le canapé le plus éloigné de Gianna.

— Elle est en train de craquer, tu devrais peut-être la gifler, suggéra Alice.

Edward la fusilla du regard. Je compris. Nom d’un chien ! C’était moi qui émettais ce bruit, des sanglots énormes qui montaient de ma poitrine, ceux-là mêmes qui me secouaient de la tête aux pieds.

— Ça va aller, tu es en sécurité, ça va aller, me répétait inlassablement Edward.

Il me prit sur ses genoux et m’enveloppa dans son manteau de laine pour me protéger de la froideur de sa peau. J’avais conscience de réagir bêtement. Qui savait combien de temps encore j’aurais le loisir de contempler son visage ? Il était sauvé, moi aussi, et il pouvait m’abandonner sitôt que nous serions loin d’ici. Pleurer au point de ne plus être en mesure de me régaler de ses traits adorés était du gâchis, de la folie. Mais, derrière mes paupières, les larmes n’arrivaient pas à effacer l’image de la petite femme brune au rosaire.

— Ces pauvres gens ! m’exclamai-je.

— Je sais, marmonna-t-il.

— C’est atroce.

— Oui. Je regrette que tu aies assisté à ça.

J’appuyai ma tête contre son torse glacé, m’essuyai les yeux avec un pan du manteau, puis je respirai profondément pour essayer de me calmer.

— Désirez-vous que je vous apporte quelque chose ? s’enquit une voix polie.

C’était Gianna, penchée par-dessus l’épaule d’Edward, l’air inquiet et cependant détaché. Elle n’était apparemment pas perturbée à l’idée d’approcher son visage à quelques centimètres d’un vampire hostile. Soit elle était complètement inconsciente, soit très professionnelle.

— Non, répondit-il froidement.

Elle opina, sourit et disparut.

— Elle est au courant de ce qui se passe là-bas ? demandai-je après m’être assurée qu’elle ne m’entendait pas.

Je commençai à me ressaisir, à présent.

— Oui.

— Se doute-t-elle qu’ils la tueront un jour ou l’autre ?

— Elle sait que c’est une possibilité.

Je tressaillis, ahurie.

— Elle espère seulement qu’ils décideront de la garder, continua-t-il.

— Elle désire devenir comme eux ? haletai-je.

Il hocha la tête, guettant ma réaction.

— Comment peut-elle souhaiter cela ? chuchotai-je, plus pour moi-même qu’en espérant une réponse. Comment supporte-t-elle de voir ces gens s’engouffrer dans cet endroit maudit et vouloir participer à la... fête ?

Edward ne releva pas, mais une moue déforma ses traits, comme s’il réagissait à l’une de mes paroles. Je le scrutai en tâchant d’identifier sa grimace quand, brusquement, je me rendis compte de l’endroit où j’étais, blottie dans ses bras (même si ça ne durerait pas), et que je réalisai que, pour l’instant, nous ne risquions plus de mourir.

— Oh, Edward ! m’écriai-je en me transformant une nouvelle fois en fontaine.

Quelle imbécile ! Une fois encore, les larmes m’empêchaient de profiter de sa beauté, c’était inexcusable. Je n’avais que jusqu’au coucher du soleil. Comme dans les contes de fées, la magie finissait toujours par s’évaporer à un moment donné.

— Qu’y a-t-il ? s’inquiéta-t-il en me frottant le dos.

J’enroulai mes bras autour de son cou – que pouvait-il m’infliger ? Une rebuffade ? – et me serrai contre lui.

— Suis-je complètement dérangée d’être heureuse en cet instant ?

Il ne me repoussa pas. Au contraire, il m’enlaça plus étroitement, au point de me couper presque le souffle.

— Non, murmura-t-il, je sais exactement ce que tu éprouves. Nous avons des tas de raisons de nous réjouir. Pour commencer, nous sommes en vie.

— Oui. C’est une bonne raison.

— Et réunis, souffla-t-il.

Son haleine était si douce que j’en eus le vertige. Je me bornai à acquiescer à sa dernière phrase, certaine qu’elle n’était pas aussi lourde de sens pour lui que pour moi.

— Et, avec un peu de chance, nous serons encore vivants demain.

— Espérons-le.

— Les prévisions vont dans ce sens, intervint Alice que j’avais presque oubliée tant elle avait été discrète. Je dois voir Jasper dans moins de vingt-quatre heures, ajouta-t-elle avec satisfaction.

Heureuse Alice, elle qui pouvait avoir confiance dans son avenir. Quant à moi, je contemplais Edward sans m’en rassasier, souhaitant par-dessus tout que le futur n’arrive pas, que cette heure dure toujours ou, si c’était impossible, que je meure au moment où elle s’achèverait. Lui me regardait aussi, ses yeux sombres empreints de douceur, et il eût été facile de me dire qu’il ressentait la même chose que moi. C’est donc ce que je fis – semblant  –, histoire que l’instant fût plus doux.

— Tu as l’air épuisée, chuchota-t-il en caressant mes cernes d’un doigt.

— Et toi assoiffé, répondis-je en examinant les marques mauves sous ses iris noirs.

— Ce n’est rien.

— Sûr ? Sinon, je m’assois près d’Alice.

Proposition hypocrite s’il en était. J’aurais préféré qu’il me tue sur-le-champ plutôt que de m’éloigner d’un millimètre.

— Ne sois pas ridicule ! soupira-t-il en m’effleurant de son souffle. Je n’ai jamais eu un tel contrôle de cet aspect de ma personnalité qu’à cette heure.

J’avais des millions de questions à lui poser. L’une d’elles me brûlait les lèvres en cet instant même, mais je la gardai pour moi. Je ne tenais pas à gâcher ce moment, aussi imparfait fût-il, dans cet endroit qui me rendait malade et sous les yeux d’un futur monstre.

Dans ses bras, il était si simple d’imaginer qu’il voulait bien de moi. Je ne voulais pas réfléchir à ses motivations maintenant – agissait-il ainsi pour que je reste calme jusqu’à ce que nous fussions hors de danger ? Se sentait-il simplement coupable de nous avoir attirées ici et était-il juste soulagé que j’aie échappé à la mort ? Notre séparation avait peut-être été suffisamment longue pour que je ne l’ennuie pas encore. Tout cela ne comptait pas, j’étais bien plus heureuse de faire semblant. Blottie contre lui, muette, je gravais de nouveau ses traits dans ma mémoire, je jouais la comédie...

Lui me détaillait également – tentait-il de mémoriser mon visage ? – tout en discutant avec Alice des modalités de notre retour. Ils parlaient si vite et si doucement que Gianna ne les comprenait pas, j’en étais certaine. Moi-même, je loupais la moitié de ce qui se disait. Je saisis cependant qu’un nouveau vol de voiture était au programme, et me demandai vaguement quand le propriétaire de la Porsche récupérerait son bien.

— Qu’est-ce que c’était que celle allusion à une chanteuse ? s’enquit soudain Alice.

— La tua cantante ? répondit Edward et, prononcés par lui, les mots devinrent extrêmement mélodieux.

— Oui.

Je me concentrai, car moi aussi je m’étais posé la question.

— C’est ainsi qu’ils appellent une personne dont l’odeur produit un certain effet, à l’instar de celle de Bella sur moi. Elle est ma chanteuse, parce que son sang chante pour moi.

Alice s’esclaffa.

J’étais suffisamment fatiguée pour tomber comme une masse, mais je luttais contre le sommeil. Il était exclu que je manque une seconde de ces retrouvailles avec lui. Tout en discutant avec sa sœur, il lui arrivait de se pencher brusquement et de m’embrasser – ses lèvres lisses comme le verre frôlant mes cheveux, mon front, le bout de mon nez. Chaque fois, mon cœur assoupi avait l’impression de recevoir une décharge électrique, et le bruit de ses battements paraissait alors emplir la pièce. C’était le paradis au beau milieu de l’enfer.

J’avais perdu toute notion du temps, si bien que, quand Edward resserra son étreinte et que lui et Alice se retournèrent, l’air inquiet, je faillis paniquer. Je me pelotonnai contre Edward, alors qu’Alec, ses prunelles désormais d’un rubis éclatant, franchissait la double porte. Il était cependant porteur de bonnes nouvelles.

— Vous êtes libres de partir, à présent, nous annonça-t-il avec une chaleur qui aurait pu laisser supposer que nous étions des amis de longue date. Nous vous prions juste de ne pas vous attarder en ville.

— Pas de souci, répliqua Edward sans se donner la peine de dissimuler sa froideur.

Alec sourit, hocha la tête puis disparut.

— Suivez le couloir de droite jusqu’au bout, vous trouverez des ascenseurs, nous informa Gianna, tandis qu’Edward m’aidait à me mettre debout. La sortie est deux étages plus bas. Au revoir.

Tout ça, avec une amabilité désarmante. Sa compétence suffirait-elle à la sauver ? En tout cas, Alice lui lança un regard noir.

Je fus soulagée qu’il existe une autre façon de quitter les lieux. Je ne pensais pas être capable de repartir par les tunnels. Nous filâmes de l’édifice par un hall au luxe de bon goût. Je fus la seule à me retourner pour examiner le château médiéval que dissimulait l’apparente adresse professionnelle. Dieu merci, la tour était invisible de la rue.

Dehors, les festivités battaient toujours leur plein. Les réverbères venaient juste de s’allumer. Le ciel était d’un gris pâle, mais les immeubles étaient tellement collés les uns aux autres qu’on avait le sentiment qu’il faisait plus sombre. À l’instar des réjouissances, d’ailleurs. Le long manteau d’Edward ne jurait guère ce soir-là, contrairement à ce qui se serait passé tout autre jour. D’autres badauds arboraient des capes de satin noir, et les crocs en plastique que j’avais vu un enfant porter sur la place paraissaient très populaires auprès des adultes.

— Ridicule ! marmonna Edward.

J’allais poser une question à Alice, quand je constatai qu’elle s’était éclipsée.

— Où est ta sœur ? chuchotai-je avec anxiété.

— Elle est allée chercher vos affaires là où elle les a rangées ce matin.

J’avais oublié ma brosse à dents. Ce rappel me réconforta beaucoup.

— Elle va aussi voler une voiture ? devinai-je.

— Pas avant que nous ne soyons sortis de la ville, rit-il.

Le trajet jusqu’à l’extérieur de l’enceinte me sembla très long. Edward se doutait que j’étais morte de fatigue, car il me porta presque tout le temps. Lorsque nous franchîmes la grande porte, je frissonnai. L’énorme herse antique qui était relevée m’évoqua la grille d’une cage susceptible de tomber à tout moment et de nous enfermer dans les remparts. Edward me conduisit en direction d’une auto sombre qui nous attendait dans une flaque d’ombre à deux pas de là, moteur tournant. À ma grande surprise, il se glissa sur la banquette arrière avec moi au lieu d’insister pour prendre le volant.

— Désolée, s’excusa Alice en désignant vaguement le tableau de bord, je n’ai pas eu beaucoup le choix.

— Ne t’inquiète pas, rigola son frère. On ne peut pas toujours rouler en 911 Turbo.

— Je devrais peut-être songer à m’en procurer une légalement, soupira-t-elle. C’était fabuleux.

— Je t’en offrirai une à Noël.

Alice le regarda, aux anges, ce qui me flanqua la frousse, car elle dévalait déjà la route sinueuse et sombre.

— Jaune, alors, précisa-t-elle.

Edward ne desserra pas son étreinte. À l’intérieur de son manteau, j’avais chaud, j’étais bien. Plus que bien.

— Tu peux dormir, maintenant, me murmura-t-il. C’est fini.

— Je ne veux pas. Je n’ai pas sommeil.

Seule cette dernière affirmation était mensongère. Il était hors de question que je ferme les yeux. L’habitacle n’avait beau être que faiblement éclairé par les lumières du tableau de bord, c’était suffisant pour que je visse son visage. Il m’embrassa sous l’oreille, insista.

— Essaie quand même.

Je secouai la tête.

— Tu es toujours aussi têtue, hein ?

Effectivement. Je me bagarrai avec mes paupières lourdes et emportai la bataille. La route nocturne fut le combat le plus difficile, l’aéroport illuminé de Florence plus aisé, d’autant que je profitai de la chance qui s’offrait à moi pour me brosser les dents et enfiler un change propre. Alice acheta également des vêtements à Edward, et il abandonna le manteau gris sur une pile d’ordures. Le voyage en avion jusqu’à Rome dura si peu de temps que la fatigue n’eut pas le loisir de me submerger. Je pressentais que le vol entre Rome et Atlanta serait une autre histoire, surtout qu’Alice nous avait acheté, une fois encore, des places confortables en première classe. Voilà pourquoi je priai l’hôtesse de m’apporter un Coca.

— Bella ! me morigéna Edward.

Il connaissait ma faible résistance à la caféine. Installée derrière nous, Alice marmottait dans son portable, en pleine conversation avec Jasper.

— Je refuse de dormir, protestai-je. Si je ferme les yeux maintenant, des images horribles vont défiler dans ma tête. Je risque d’avoir des cauchemars.

Il ne discuta pas cette excuse à peu près plausible.

C’eût été un moment idéal pour parler et obtenir les réponses dont j’avais besoin – sans en avoir très envie cependant. La perspective de ce que je risquais d’entendre m’emplissait déjà de désespoir. Nous disposions de plusieurs heures devant nous ; il ne pourrait pas m’échapper, dans cet endroit confiné qu’était l’avion. Personne ne nous entendrait, excepté Alice ; il était tard, la plupart des passagers éteignaient les lampes au-dessus de leur siège et demandaient des oreillers à voix basse ; bavarder m’aiderait à lutter contre l’éreintement.

Pourtant, manœuvre perverse, je retins mon flot d’interrogations. La fatigue amoindrissait sans doute mes capacités de raisonnement. N’empêche, j’espérais qu’en retardant le moment d’une explication, j’en retirerais quelques heures supplémentaires en sa compagnie, j’obtiendrais une autre nuit, telle Schéhérazade.

Bref, je ne cessai de boire des sodas et de lutter contre l’envie même de battre des paupières. De son côté, Edward semblait pleinement satisfait de me serrer dans ses bras, ses doigts caressant encore et encore mon visage. Geste que je lui rendais, incapable de me retenir, alors que je craignais que cela me blesse, plus tard, quand je me retrouverais seule. Il baisait toujours mes cheveux, mon front, mes poignets... mais jamais mes lèvres, ce qui était bien. Après tout, pouvait-on espérer qu’un cœur estropié fût suffisamment solide pour résister à cela ? Ces derniers jours, j’avais beau avoir survécu à des incidents qui auraient dû m’achever, je n’avais pas l’impression d’être plus forte. Au contraire, je me sentais affreusement fragile, prête à m’effondrer au moindre mot.

Edward ne parlait pas, comptant peut-être que son silence m’amènerait à m’endormir. Ou alors, il n’avait rien à dire.

Je remportai mon duel contre le sommeil. J’étais éveillée quand nous arrivâmes à l’aéroport d’Atlanta, et je réussis même à contempler le lever du soleil au-dessus des nuages de Seattle avant qu’Edward abaisse le volet. J’étais fière de moi. Je n’avais pas loupé une minute de nos retrouvailles.

Si ni le frère ni la sœur ne parurent surpris par la délégation qui nous attendait à l’aéroport de Sea-Tac, je fus désarçonnée. J’aperçus Jasper en premier, alors que lui eut l’air de ne pas me voir du tout, n’ayant d’yeux que pour Alice. Celle-ci le rejoignit vivement. Ils ne s’enlacèrent pas comme les autres couples qui étaient réunis autour d’eux, se bornant à se fixer l’un l’autre ; pourtant, cet instant fut si intime que je fus obligée de me détourner.

Carlisle et Esmé patientaient en silence dans un coin tranquille loin des portiques de détection des métaux, à l’ombre d’un grand pilier. Esmé m’attrapa et me serra très fort contre elle, bien que le bras d’Edward emprisonnant toujours ma taille ne facilitât pas la chose.

— Merci, vraiment merci, me chuchota-t-elle à l’oreille.

Puis elle se jeta au cou de son fils et, j’eus l’impression qu’elle aurait fondu en larmes, pour peu que cela lui eût été possible, s’entend.

— Ne me refais jamais ça ! lui lança-t-elle, en grognant presque.

— Désolé, maman, s’excusa Edward avec un sourire repentant.

— Merci, Bella, me dit Carlisle. Nous te sommes redevables.

— Mais non, marmonnai-je.

Tout à coup, le manque de sommeil me submergea, et j’eus le sentiment que ma tête et mon corps s’étaient séparés. Esmé gronda Edward.

— Elle dort debout, ramenons-la vite à la maison.

Guère persuadée que la maison était ce que je voulais à cette heure, je titubai, à demi aveuglée, à travers l’aéroport, Edward me soutenant d’un côté, Esmé de l’autre. J’ignorais si Alice et Jasper nous suivaient, j’étais trop abrutie de fatigue pour vérifier. Je pense que j’étais déjà endormie, mais je marchai quand même jusqu’à leur voiture. Mon ébahissement en découvrant Emmett et Rosalie appuyés contre la voiture noire sous la maigre lumière du parking souterrain me réveilla cependant quelque peu. Edward se raidit.

— Du calme, murmura Esmé. Elle est très mal.

— Elle peut, répliqua-t-il sans baisser le ton.

— Ce n’est pas sa faute, intervins-je, la voix dénaturée par l’épuisement.

— Laisse-lui une chance de s’amender, le supplia sa mère. Nous monterons avec Alice et Jasper.

Edward toisa sa vampire de sœur, blonde à la beauté presque absurde.

— S’il te plaît, intercédai-je.

Je n’avais pas plus envie que lui de faire le trajet en compagnie de Rosalie, mais j’avais assez semé la pagaille comme ça entre les Cullen. En soupirant, il m’entraîna vers la voiture. Emmett et Rosalie s’installèrent à l’avant sans dire un mot. Edward choisit la banquette arrière une fois encore. Consciente que je ne tenais plus, je rendis les armes et posai la tête contre son torse. La voiture démarra.

— Edward, commença Rosalie.

— Je sais, répliqua-t-il sèchement.

— Bella ? reprit-elle doucement.

Sous le choc, j’ouvris les paupières. C’était la première fois qu’elle s’adressait directement à moi.

— Oui ? dis-je, hésitante.

— Je suis vraiment désolée, Bella. Je suis malheureuse comme les pierres depuis que cette histoire a commencé, et je te suis extrêmement reconnaissante d’avoir été assez courageuse pour sauver mon frère après ce que j’ai fait. Je t’en prie, accepte de me pardonner.

Les paroles, guindées et maladroites, paraissaient sincères.

— Bien sûr, Rosalie, bredouillai-je.

J’étais trop heureuse de saisir une perche qui, peut-être, me rendrait moins détestable à ses yeux.

— Tu n’y es pour rien du tout. C’est moi qui ai sauté de cette fichue falaise. Évidemment, que je te pardonne.

Mes mots me firent l’effet d’une véritable bouillie.

— Ça ne compte pas, elle n’est pas consciente, rigola Emmett.

— Je suis parfaitement consciente, rétorquai-je dans un souffle de mourante.

— Laissons-la dormir, insista Edward, en se dégelant un peu.

Du coup, le silence s’installa, seulement rompu par le ronronnement du moteur. Je dus m’assoupir, parce que, après ce qui me parut à peine quelques secondes, Edward ouvrit la portière et me porta. Mes paupières refusèrent de se soulever, et je crus que nous étions encore à l’aéroport. C’est alors que j’entendis Charlie.

— Bella ! hurla-t-il.

— Charlie, murmurai-je en m’efforçant de m’extirper de ma stupeur.

— Chut ! fit Edward. Tout va bien. Tu es chez toi, en sécurité. Dors !

— Je suis estomaqué que tu aies le cran de te montrer ici ! beugla Charlie au visage d’Edward.

— Arrête, papa, gémis-je.

Mes mots se perdirent dans sa vindicte.

— Qu’est-ce qu’elle a ? poursuivit-il.

— Elle est juste très fatiguée, Charlie, le rassura Edward. Laissez-la se reposer, s’il vous plaît.

— Ne me dis pas ce que je dois faire ! Et donne-la-moi. Bas les pattes !

Edward voulut me passer à Charlie, mais je m’accrochai à lui comme une noyée. Mon père tirait sur mon bras de toutes ses forces.

— Ça suffit, papa ! lançai-je avec plus de force. Si tu dois être en colère, sois-le après moi, ajoutai-je en réussissant à le regarder.

Nous étions devant chez lui, la porte était ouverte. Les nuages dans le ciel étaient trop épais pour qu’on pût déterminer l’heure qu’il était.

— Je te garantis que tu n’y couperas pas, me promit-il. Rentre à la maison.

— Bien. Pose-moi, soupirai-je.

Edward me mit sur mes pieds. Je ne sentais plus mes jambes. Lorsque je tentai d’avancer, le trottoir se rua à ma rencontre, et Edward me rattrapa avant que je heurte le béton.

— Autorisez-moi au moins à la monter dans sa chambre. Ensuite, je partirai.

— Non ! criai-je, en proie à la panique.

Je n’avais pas encore obtenu mes réponses. Il fallait qu’il reste jusque-là, non ?

— Je ne serai pas loin, me jura-t-il si bas que Charlie ne s’en rendit pas compte.

J’ignore si Charlie y consentit, mais Edward m’accompagna à l’intérieur. Je parvins à garder les yeux ouverts jusqu’à l’étage. La dernière chose que je sentis, ce fut les doigts d’Edward qui détachaient les miens de sa chemise.

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